Je ne suis pas FOMO
Moi, le téléphone, je ne suis pas né avec. S'il y en avait bien un chez mes parents, c'était un vieil appareil à ligne fixe et à cadran rotatif que ma mère conservait débranché la plupart du temps (jusqu'à ce que la compagnie la force à changer pour nouveau Touchtone). Elle le branchait quand elle s'en servait ou quand mon père ne rentrait pas de son travail à l'heure prévue. En fait, il y a bien eu des périodes lors desquelles elle le laissait branché, mais elle m'interdisait de m'en servir, craignant que je fasse des « longues distances », comme elle disait.
Si un autre enfant m'avait donné son numéro afin que je lui téléphone, je n'aurai pas pu téléphoner sans sa permission et il était inutile de lui demander, car elle aurait eu peur de ce que j'aurai pu raconter à mon ami. Pour vous donner une idée, même si ce n'est pas tout à fait la même chose, lorsque j'eus autour de 10 ans, un adulte de mon école m'a conseillé de démarrer un journal intime. Un jour je suis revenu de l'école pour être accueilli par une mère plus ou moins fâchée. Elle me dit « Il faut pas que tu écrives des affaires de même, le monde vont nous faire du trouble. »
Même durant l'adolescence, les rares fois où un autre étudiant m'a écrit son numéro de téléphone sur un bout de papier, je n'ai jamais pu m'en servir. En fait, je crois que je jetais ces bouts de papier avant de quitter l'école de peur que ma mère les trouve et décide de me sermonner à ce sujet pendant des jours.
Dans les (vieux) films et les (vieilles) séries télé, on voit souvent des jeunes qui se parlent au téléphone pendant des heures et leurs parents qui leur crient d'une pièce voisine de lâcher le téléphone, car ils en ont besoin. Je n'ai pas eu la chance de vivre ça. De toute façon, il aurait fallu pour cela que je puisse avoir au moins un ami. J'ai donc vécu presque toute ma vie chez mes parents sans téléphone.
Quand j'ai rencontré mon chum, je me suis acheté un appareil de téléphone de base le moins cher possible et je l'ai caché dans ma chambre. Je ne m'en suis servi qu'en de très rares occasions en ayant peur que ma mère entende. Moins d'un an plus tard, j'ai quitté le domicile familial en emportant presque toutes mes affaires, téléphone inclus.
Néanmoins, je ne m'en suis guère plus servi. Si j'étais maintenant libre de téléphoner à qui je veux quand je veux (ou presque), je me suis vite aperçu que le téléphone, ce n'est pas mon truc. Moi téléphoner à une personne que je ne connais pas, je n'aime pas ça. Mais ce n'est pas seulement que je n'aime pas cela. Parler au téléphone, c'est très difficile pour moi. À moins que ce soit avec une personne que je connaisse bien comme mon chum ou ma mère.
Non, moi mon truc, c'est les messages écrits. Les courriels, voire les messages instantanés. Quand j'écris un texte, comme c'est le cas en ce moment, j'ai le temps de réfléchir à ce que je dis. Et si je n'aime pas un truc, je peux l'effacer ou le changer. À l'oral, les choses qui sortent de ma bouche ne sont pas toujours les bonnes. Surtout en situation de stress. Je ne bégaye pas, mais je me trompe de mot, je bafouille et je dis des choses sans réfléchir. Trop souvent je sonne plus bête et méchant que je n'en avais l'intention. Je n'aime pas ça.
Et ce n'est pas faute d'avoir essayé. Depuis que j'ai accès à l'Internet, tous les gens sur les jeux vidéos, par exemple, essaient de me convaincre de passer en mode vocal parce qu’eux ils n'aiment pas cela devoir utiliser un clavier. Alors, je me suis laissé convaincre à plusieurs reprises. Que ce soit avec un français installé à Nouméa ou un québécois qui peut apercevoir le Rocher Percé de son salon, j'ai fait de gros efforts, mais il m'a fallut arrêter vu l'état dans lequel cela me met. Je ne rentrerai pas dans les détails, mais disons que ça n'aide en rien ma tendance à l'insomnie. Alors quand mon nouvel ami de jeux s'est mis à traiter tout le monde de « fif », ça été un blocage direct et tant pis.
FOMO. L'anxiété de rater quelque chose. Je suis effectivement une personne qui peut souffrir d'anxiété, mais pas cette forme d'anxiété là. Non, moi je suis plus sujet à une forme d'anxiété sociale causée par une privation des rapports sociaux durant l'enfance et l'adolescence. Anxiété sociale ne sont peut-être pas les bons mots, car si j'entre ces mots dans Google la définition obtenue ne me correspond pas tout à fait. Toutefois le test de Psychomedia dit que c'est très probable que j'en souffre bien que beaucoup trop de questions ne s'appliquaient pas vraiment à moi. C'est comme pour le test de l'autisme...
Avoir peur de rater quelque chose. C'est trop tard pour moi. J'ai déjà raté plein de choses. Il y a beaucoup de choses que je n'ai jamais faites et que je ne ferai probablement jamais. En quoi est-ce important ? Parce qu'on a qu'une vie et il faut en profiter au maximum ? Non. C'est ce genre d'attitude qui condamne la planète.
On ne cesse de nous dire qu'il faut tout faire, tout essayer dans la vie. Tout le monde doit faire du camping en se rendant en VUS en pleine zone sauvage pour y planter des tentes et laisser derrière sois tout plein de déchets en repartant. Tout le monde doit faire au moins un voyage en avion chaque année avec les AirMiles accumulés. Tout le monde doit gouter à tout et tout essayer. Bien moi je dis non. Aller détruire la nature en marchant en forêt et se faire piquer par des tiques. Non. Manger du poisson alors que la simple odeur me donne envie de vomir. Non.
C'est sûr que là je m'éloigne un peu du sens premier qui est la peur de rater quelque chose qui est en train de se passer en ce moment même, mais pour moi ce n'est pas si différent. Je ne comprends pas plus qu'on puisse rester les yeux rivés sur un écran de téléphone dans l'attente du moindre message que la peur de se priver d'une expérience de vie, quelle qu'elle soit. Oui, la vie est courte. Le temps passe vite. Je suis au courant. Je commence à me sentir vieux et à l'âge que je suis rendu, je sais ce que j'aime ou pas.
Quand j'utilise les applications de réseautage telles que Grindr ou Scruff sur ma tablette Android (je ne possède pas de téléphone intelligent et je n'en veux pas), je m'y connecte le soir à la maison, je fais le tour des différents écrans et affichages pour voir qui a visité mon profil et je fais défiler la liste des gens autour de moi. Je fais cela dans chaque application, puis je replace ma tablette dans son étui et je la pose sur un meuble ou une étagère afin de retourner à mes activités régulières. Que ce soit tricoter devant la télé, travailler sur mes sites web, effectuer des tâches ménagères ou perdre mon temps devant un jeu vidéo.
Pendant ce temps, il arrive que je reçoive un message. Si je suis près de la tablette, il est possible que j'entende le son du vibreur. Mais même lorsque je l'entends, je ne vais pas tout interrompre pour regarder le message dès réception. Ça n'a jamais été le but des systèmes de messagerie informatisés. On n’est pas censé consulter ses messages à tout moment. On est censé le faire quand on a le temps et l'envie de le faire.
Je me souviens d'une fois il y a environ 10 ans je me suis fait incendié par un gars avec qui je travaillais sur des wikis à cette époque parce que j'avais eu la brillante idée de lui écrire un courriel. Et lui il me répond d'arrêter de lui écrire parce qu'il est à son travail et qu'il n'a pas le temps. Mais voyons ! Si tu n’as pas le temps, arrête de regarder tes messages ! Je n’ai jamais écrit ce message en pensant revoir une réponse immédiate non plus.
Bref, je ne réponds pas toujours tout de suite aux messages que je reçois. Je ne vous dis pas le nombre de fois que des gars ont été choqués par mon délai de réponse. Même un délai de dix minutes est trop long à leur gout.
Je pense en particulier à un soir où j'ai lâché mes jeux vidéos (Xbox) et ma tablette Android afin d'aller mettre mon chum au lit. Il se couche tôt. Au retour un gars m'avait envoyé une demi-douzaine de messages me demandant ce qui ce passait et pourquoi je ne répondais pas. C'est fou !
Plus récemment, un gars m'envoie son numéro de téléphone et me demande de le rejoindre chez lui alors qu'il était déjà 21 heures passées. Je ne sais pas où il se trouvait, à quelle distance de chez moi, mais je n'ai pas de voiture et le transport en commun ça peut être lent en dehors des heures de pointe. De plus, nous étions un soir de milieu de semaine. J'ai failli lui demander s'il était en congé. Mais au lieu je lui ai dit : « Pas ce soir. Et je ne téléphone pas les inconnus. » Puis je suis allé faire un peu de ménage à la cuisine. À mon retour l'application me dit : « L'utilisateur n'existe plus ». Je n'ai même pas vu sa réponse.
Ne comprennent-ils pas qu'on n’a pas tous un téléphone greffé à la main et qu'on a une vie hors des réseaux sociaux ?
Toutefois, je me sens mal en pensant au dernier gars. Je n'ai jamais eu l'intention de le rejeter. Ce n'était juste pas le bon soir. De plus, je préfère effectuer la planification d'une sortie bien avant 20 heures. Avoir le temps de me préparer et de me rendre sur place en transports en commun. Savoir à l'avance si c'est seulement pour une ou deux heures ou bien s'il s'agit de passer la nuit en bonne compagnie. Je ne suis pas un scout. Inutile de m'envoyer un message disant « je reçois, now ».
De plus, j'ai beau vivre à Montréal depuis 2001, je ne connais pas les moindres recoins de la ville. Et je ne suis pas le genre de personne qui va aisément frapper à la porte d'un inconnu. En fait, quand il s'agit d'une première rencontre d'une personne que je ne connais pas, je préfère faire ça à l'extérieur. Sur le coin d'un parc, tel que le parc Maisonneuve, voire dans un café, bien que je ne bois pas de café.
Tout ce que je viens d'écrire me fait penser à ceux qui écrivent dans leur profil « je veux rien de compliqué ». Comment ça je suis compliqué ? Je ne suis pas compliqué. Je sais ce que je veux et ce que je ne veux pas. Et ce n'est pas parce que je sais cela que je vais tenter de l'imposer aux autres. C'est pourquoi je préfère que ce soit eux qui brisent la glace. Quand un gars vient me parler, n'est-ce pas censé vouloir dire qu'il a lu mon profil, qu'il a compris et accepté ma différence, et qu'il est malgré tout très intéressé de démarrer une histoire avec moi ?
Dans le cas contraire, j'aime mieux qu'on ne me parle pas. Sinon, moi après j'ai de la peine.