Une vie, sans amis, ou presque
À diverses occasions durant mon enfance et mon adolescence, ma mère me disait qu'on a pas besoin de ça des amis dans la vie. Et même plus, elle disait parfois que les amis ne cherchent qu'à « nous faire du trouble ».
Dans les films et les séries télé, on voit souvent un parent qui tente de régenter les relations de son enfant. Par exemple, un cas classique. Un garçon ou une fille revient accompagné d'un enfant au style vestimentaire plus ou moins extravagant. Punk, emo, etc.
Mais, pour ma mère, c'était bien plus que cela. Il ne s'agissait pas seulement de protéger son enfant contre les influences négatives. Il s'agissait aussi d'empêcher que les gens se rendent compte qu'elle n'était pas tout à fait normale. En effet, j'en parle dans un autre article. Ma mère était affectée de divers troubles mentaux. Elle l'a toujours nié, mais ça ne l'empêchait pas de craindre le pire advenant qu'un enfant parle d'elle à ses parents. Toute ma vie d'enfant et d'adolescent, je l'ai vécu dans la crainte des « travailleuses sociales » qui voudraient m'enlever à elle. Pour moi ça n'était pas le bonhomme sept heures ni un autre truc du genre.
On parle parfois dans les médias d'enfants qui ont été séquestrés toute leur vie, qui ne sont jamais sortis d'une petite chambre ou pire d'une minuscule cage. Bien, je suis chanceux quand même. Ma mère avait trop peur des autorités. Elle m'a dit très souvent qu'elle m'envoyait à l'école seulement parce qu'elle y était légalement obligée. Elle aurait voulu me faire elle-même l'école à la maison. Que nous vivions sans télévision afin de conserver son contrôle sur mon évolution et mes apprentissages. Elle aurait voulu m'élever en petit ange blond qui ne sait rien du Mal et de la sexualité. Son seul désir étant que nous nous retrouvions tous les trois vêtus de blanc ensemble au Paradis.
Mais elle n'a pas pu éviter toute influence extérieure, heureusement. Avant mes 5 ans, elle s'est parfois vue obligée de me confier à sa mère qui n'avait pas du tout la même vision du monde. Celle-ci ne voyait aucun mal à parler de sexualité en termes imagés, par exemple. Et un petit téléviseur restait allumé en permanence dans sa cuisine. Quand je n'étais pas chez elle, ma mère me permettait parfois de sortir pour jouer dehors autour de notre immeuble. Puis il y a eu aussi mon entrée à la maternelle. Mes contacts avec les autres enfants se sont multipliés à partir de là. J'ai même eu droit à quelques sessions de « touche pipi » dès l'âge de 4 ou 5 ans dans la cour de l'immeuble voisin au nôtre.
Mais plus je grandissais et vieillissais, plus les contacts se raréfiaient, sauf à l'école. Cela allait de pair avec la progression des troubles mentaux de ma mère. Avec un point charnière vers mes 13 ans lorsque ma mère fut envoyée de force dans un hôpital psychiatrique. Suite à cela, rien ne fut plus jamais comme avant et il est rapidement devenu clair qu'un choix s'imposait à moi. Je pouvais rendre notre vie encore plus conflictuelle en me rebellant et en décidant sortir pour me faire des amis coute que coute, ou accepter de rester sagement à la maison devant la télévision.
En fait, malgré tout, je n'étais pas vraiment malheureux chez mes parents. J'ai donc opté pour la facilité. Je suis resté devant la télé. Et plus tard sont venus les jeux vidéos. De toute façon, tout au long de mon secondaire, la majorité des garçons semblaient n’avoir qu'une idée en tête, me faire du mal. Les rares fois où un gars a semblé vouloir devenir mon ami, je l'ai repoussé. Même au CÉGEP je ne me suis lié avec personne. Les années ont passé. Un nouveau sujet d'inquiétudes est apparu. Le bogue de l'an 2000.
Je suis resté encore quelques années sagement devant la télé jusqu'au jour J. Ce jour-là, tout autour de la Terre, les gens célébraient le nouveau millénaire. En quelques heures, à la télévision, ils ont fait le tour du monde. Et la Terre a continué de tourner. Sur elle-même et autour de notre étoile. S'il y a bien eu quelques ratages mineurs dans certains systèmes informatiques, aucune des catastrophes annoncées n’est devenue réalité. Alors au printemps, je me suis décidé. J'ai commencé à sortir de mon trou.
Quelques mois plus tard, j'ai rencontré un homme extraordinaire. Mon tout premier ami. Celui-ci est rapidement devenu la personne la plus importante dans ma vie. Il a changé ma vie et j'ai changé la sienne.
Depuis j'essaie vainement de me trouver un ou des amis par Internet sur divers sites web, dont des sites de rencontres tels que QcBoy. Mais au début des années 2000, me trouver des amis bien à moi ne me semblait pas aussi important. Mon chum avait déjà quelques amis, dont un en particulier qui venait souvent nous visiter pour un café et une partie de jeux vidéos. De plus, mon chum était un courailleux et parfois je l'accompagnais. C'était suffisant.
En 2013, nous avons acquis nos premières tablettes Android. Les applications telles que la très connue Grindr ont remplacées les sites. Il était désormais possible de voir les gens autour de notre position. Mais moi je ne la trimbale pas partout avec moi cette tablette.
Je tourne un peu autour du pot. En effet, je dois avouer que si je ne suis pas parvenu à me faire d'autres amis ces 20 dernières années, c'est qu'il y a une raison. Quand j'ai rencontré mon chum, ç’a été bien plus facile. On ne s'est même pas parlé. Il s'est approché de moi. Je lui ai tendu la main. Il l'a acceptée. Je l'ai serré dans mes bras et je ne l'ai plus jamais lâché.
Mais après nombreuses tentatives échouées d'approcher les gens par messages instantanés sur des sites web ou dans des applications, j'avoue que je ne sais plus quoi faire. Chaque fois que j'essaie d'éviter de reproduire mes erreurs, cela ne fait que s'ajouter à ma longue liste d'échecs. Je n'ose plus. Maintenant j'attends que les gens viennent me parler. Je donne l'impression d'être maladivement timide. Mais en réalité je ne le suis pas. Je ne suis pas du genre à embrasser un gars sur la rue ni à parler de sexe en public. Mais si je me retrouve seul avec un gars...
Une chose qui revient très souvent dans les profils sur les applications de rencontres : « Je cherche quelqu'un qui sait ce qu'il veut. » Mais oui, je sais ce que je veux. Je veux un ami. Un gars. Un homme, de préférence plus jeune que moi. Qui voudra bien de moi. Qui souhaitera ma présence dans sa vie. Qui sera capable de m'accepter. Une amitié sincère et durable. Avec un petit quelque chose en plus. Parce qu'on est pas fait en bois.
Sauf que je ne vais pas imposer mes désirs. Quand je me déplace dans la ville, à pied ou en transport urbain, que je croise un beau gars, je ne lui saute pas dessus pour l'embrasser ni pour lui faire une fellation. Alors je ne vois pas pourquoi ce serait différent sur les applications de rencontres. Je ne vais pas dire aux gars dont j'affiche souvent le profil que je veux leur manger la queue. Je ne suis même pas capable de leur faire un « woof ». Je n'ose pas. Je ne veux pas prendre le risque qu'il me réponde « Sus po interesse » ou autre. Je préfère continuer d'espérer qu'un beau jour...
Toutefois, je ne mentirai pas. Il arrive que des hommes viennent me dire qu'ils sont intéressés, mais malheureusement trop souvent je ne ressens aucune attirance envers eux. Parfois ce sont des hommes plus âgés à qui j'ai envie de dire « Merci de votre intérêt, mais malheureusement j'ai déjà un vieil ours à moi. » En effet, je n'aime pas le crier sur les toits, mais mon chum est plus âgé. Il ne bande plus même lorsqu'il regarde du porno seul dans son coin, mais c'est le mien et je l'aime énormément.
Et il semble que le fait d'être déjà en couple constitue un énorme défaut aux yeux de ceux qui disent dans leur profil être à la recherche d'un nouvel ami. Pour moi ça semble clair qu'ils souhaitent pouvoir garder l'espoir que l’amitié se transforme en amour de leur vie. On ne peut que leur souhaiter que cela se réalise un jour. Mais quand ils viennent me parler pour me dire : « Kess tu fa su 7 app si ta un chum ? » Je ne sais pas quoi répondre. Mon chum dit de leur parler de « L'amant de Lady Chatterley », mais ce classique de la littérature n'est pas connu de tous et j'aurais l'impression de perdre mon temps.
Bref, quand je repense à certaines périodes de ma vie, j'ai l'impression d'avoir raté le bateau. Parfois j'ai même l'impression qu'il est trop tard, que je ne trouverai jamais personne capable d'accepter mes défauts. Oh, je ne perdrai jamais espoir. Mais je trouve que le temps file à une vitesse folle.