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Mon blogue

Ma mère

En effet, quelques jours avant mon treizième anniversaire, il est survenu un évènement qui a tout changé.

En 1989, mes parents ont déménagé, encore, mais cette fois ce fut dans le but de nous rapprocher de ma future école, je crois. Cette dernière se trouvait près du CÉGEP à Longueuil. Quelques années auparavant, mon père avait perdu ou quitté son emploi suite à un accident de travail. L'été précédent mon entrée au secondaire a été l'un de mes plus beaux étés entre autres parce que mon père était plus présent.

À l'école, j'aimais la plupart des cours, même la géométrie. Et comme personne ne me connaissait, j'avais espoir que certains garçons deviendraient mes amis. À la sortie de l'école, il arrivait souvent que ma mère m'attende non loin et nous allions ensemble au petit centre d'achats à quelques rues. Pendant quelques semaines, j'ai été plutôt heureux n'ayant aucune idée du malheur qui allait s'abattre sur nous.

C'était une journée comme les autres. Un mercredi semble-t-il puisque mon dernier cours de la journée était celui qui n'en était pas vraiment un. Nous passions une heure en compagnie d'un professeur titulaire qui ne nous enseignait rien en particulier, mais restait à disposition pour nous aider avec nos devoirs ou autre. C'est peu après le début de ce cours que je fus étonné de voir le directeur venir me demander si je connaissais une personne avec un nom de famille peu répandu et que je ne dévoilerai pas ici. Après quelques secondes d'hésitation plus dues à la surprise qu'autre chose, j'ai nommé le prénom de ma tante qui était et est toujours mariée à cet homme au nom de famille inusité. Le visage du directeur prit une expression de soulagement teinté de... d'autre chose...

J'ai suivi le directeur jusqu'à son bureau. Cela a pris moins d'une minute, mais ce fut suffisant. Toutes sortes d'interrogations m'ont traversé l'esprit. Qu'est-ce que ma tante J. O. venait faire ici ? Où était ma mère ? Cette dernière vient d'une grande famille. Ma mère a sept sœurs et deux frères. La présence de l'une d'elles ici, comme ça, sans prévenir, était hautement improbable, anormale, voire suspecte.

Pour couronner le tout, dès mon apparition dans le bureau du directeur, ma tante s'écria : « Ça va bien aller ! » Je ne me souviens pas de ce qui s'est dit ensuite, mais le directeur m'envoya chercher mes affaires dans la salle de classe. Aussi, j'étais à ranger mes livres et autres effets dans mon sac à dos lorsqu'une fille de la classe prenant un air tragiquement sombre me fit remarquer à moi et tout le monde autour que j'étais en train de pleurer silencieusement. Elle voulait savoir, mais je n'ai jamais rien dit.

En fait, je n'aurais pas pu. Je ne savais toujours pas ce qui se passait. Tout ce que je savais, c'est que je me retrouvais assis dans le véhicule de ma tante et déjà nous roulions à vive allure en direction de sa maison.

À un moment donné, j'ai eu envie de tenter de détendre l'atmosphère avec une blague. Mais cette blague que j'avais passé la journée à raconter à certains élèves ou professeurs n'était pas la meilleure idée lors d'une telle situation, semble-t-il.

« Il me reste seulement 13 jours à vivre... » Ma tante réagit plus vivement que je ne m'y attendais. « Mais pourquoi tu dis ça ? » demanda-t-elle sur un ton plaintif comme si je venais de lui causer une peine immense. « Il me reste 13 jours à vivre » je répétai en m'empressant d'ajouter « avant d'avoir 13 ans. »

Pour moi il s'agissait d'une simple blague en rapport au fait que le nombre 13 est souvent associé à plein de malheurs. Je ne suis pas superstitieux, mais ces choses m'amusent. Je n'avais pas remporté un grand succès avec cette blague auprès des autres élèves non plus. Au mieux, certains se demandaient pourquoi j'avais déjà 13 ans alors qu'eux venaient d'en avoir 12 au cours de l'été.

Nous étions maintenant arrivés au domicile de ma tante que je connaissais bien pour y avoir souvent passé des journées entières quand j'étais plus jeune, avant que ma tante ait des enfants à son tour. En fait, cela était probablement dû à un autre incident, mais comme on dit, c'est une autre histoire.

Alors j'en étais à tourner en rond dans le salon de ma tante qui n'avait guère changé lorsqu'un véhicule arriva et se stationna derrière celui de ma tante dans son allée de garage. Il en sortit une femme d'un certain âge qui marcha avec détermination vers la porte arrière. À ce moment j'ai crié « Ma tante, il y a une femme aux cheveux blancs qui arrive. »

Ce n'est que lorsque j'ai entendu la voix de cette femme que je l'ai reconnue. Elle disait « Ça se fait pas des affaires de même... » Je ne me souviens plus de la suite, mais elle était très fâchée. Cette femme était en fait l'une des sœurs plus âgées de ma mère. Je ne l'avais pas reconnue. Cela faisait longtemps que je ne l'avais pas vue en personne. Mais sa voix était caractéristique. Ma mère lui téléphonait plus ou moins souvent pour lui demander conseil entre autres.

Bref, après une chicane entre les deux sœurs dont je n'ai pu comprendre la teneur, je me retrouvais pour la seconde fois dans un véhicule en direction de la maison de l'une de mes tantes. Cette fois-ci, je n'ai pas tenté de faire de blague. Je ne savais toujours pas ce qui se passait.

Ce fut très long avant qu'on m'explique que mon père, aidé de quelques-uns de mes oncles et de mes tantes, avant fait des démarches juridiques afin que ma mère soit envoyée dans la section psychiatrique d'un hôpital de la région. La pauvre. Et en plus, elle, elle s'était rendue m'attendre à la sortie de l'école comme à son habitude. Mais je ne suis jamais arrivé. Elle est revenue paniquée pour téléphoner à sa sœur et c'est à ce moment que la police est arrivée. Sa grande sœur lui a dit « Passe-moi-les » et elle tendit l'appareil à la policière.

Je ne sais pas vraiment comment ils l'ont conduite à l'hôpital. Mais quelques jours plus tard sa grande sœur et moi nous sommes allés la visiter. Moi je n'étais qu'un enfant encore et je ne comprenais pas tout. D'ailleurs, lorsqu'il y a eu un message diffusé dans toute la place qui demandait aux résidents de se présenter pour recevoir des médicaments, j'ai été stupide. « Elle a pas besoin de ça » a répondu ma tante.

Ainsi, j'ai passé quelques jours à vivre chez la grande sœur de ma tante en compagnie de mes deux cousins que je ne connaissais à peu près pas. Mais celle-ci m'a avertie dès le début. « On n’a pas le droit de te garder. Si ton père vient te chercher, on va être obligé de te laisser y aller avec. » Je ne sais pas pourquoi, mais n'étais pas très enthousiaste à cette idée. « Prends la chambre en haut qui a une porte qui se barre, juste au cas. »

Je n'ai pas eu l'occasion de m'en servir. Je me suis retrouvé assez vite dans une voiture avec mon père qui a peut-être tenté de m'acheter. Il m'a donné 5 $ en me promettant qu'à partir de maintenant j'aurai toujours de l'argent de poche. Je me souviens avoir pensé « Alors, c'est à ça que va ressembler ma vie à présent ? » Peu après cela, nous sommes allés chez les parents de mon père à Varennes. Si j'avais déjà rencontré la famille de mon père auparavant, je ne m'en souviens pas.

J'ai vécu quelques jours seuls avec mon père. Puis un jour, lorsque je suis revenu de l'école, mon père m'annonça : « J'ai une surprise pour toi. Va voir dans la cuisine. »

Elle était là, debout, l'air gêné et vêtu d'un survêtement rose que sa grande sœur lui avait acheté. J'étais à la fois content de la voir et déçu. Ces choses que l'ont m'avaient promises ne deviendrait jamais réalité. Et en effet, s'en suivirent les années les plus noires et difficiles que j'ai vécues avec mes parents.

De plus, cet évènement m'avait en quelques sortes ouvert les yeux. Quelque chose clochait avec ma mère. En fait, cela ne fut pas clair du jour au lendemain, mais peu à peu. Et en même temps, je résistais. J'ai continué longtemps à croire que ma mère avait raison sur pas mal tout, tout en lui faisant régulièrement de petites crises, lui disant qu'elle était folle lorsqu'elle m'interdisait la moindre chose à cause de l'une ou l'autre de ses lubies ou de ses craintes qui n'avaient rien à voir avec les appréhensions normales d'une mère.

En effet, ma mère avait toujours eu des lubies et des croyances paranoïaques, et jusqu'à son internement, je lui accordais le bénéfice du doute. « Ne parle pas si fort, les bandits qui nous suivent sont dans l'appartement du vieux au-dessus et ils nous écoutent. »

Ce n'est que des années plus tard après avoir enfin quitté le nid que j'ai pu comprendre à quel point elle était malade. Vous n'imaginez pas à quel point sa maladie a pu ruiner ma vie. Mais en même temps, je me dis que si quoi que ce soit s'était passé autrement, je n'aurais peut-être jamais rencontré cet homme extraordinaire avec qui je vis une vie de rêve depuis 2001.

Il y aurait tellement plus à raconter. Et j'ai bien l'intention de le faire, petit à petit. C'est à suivre. Ou pas. C'est comme vous voulez. Le lecteur est roi.

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